19 novembre 2006

Conférence 2006

VIème Conférence Internationale

DROITS DE PROPRIETE, ECONOMIE ET ENVIRONNEMENT: LES RESSOURCES FONCIERES
Juin 2006

AIX-EN-PROVENCE, France

Actes publiésThèmeObjectif de la conférenceRapport généralComité de parrainageIntervenantsOrganismes associés
Actes-2010

La maîtrise foncière est la condition de toute action de protection ou de gestion environnementale. Or pour l’essentiel elle s’appuie sur la généralisation à l’ensemble du territoire des outils réglementaires qui ont pour objet d’organiser l’espace urbain dense.

Les multiples servitudes qui encadrent le développement ou la rénovation urbaine ont pour caractéristiques :

– de ne pas entraîner de modification à long terme des valeurs foncières, par exemple la décision de réserver un espace pour un parc urbain sera suivie d’une acquisition,

– d’obéir à une logique qui laisse peu de place à l’arbitraire : servitude d’alignement, servitude non altius tollendi, servitude de défense nationale…

– de ne pas nécessiter de gestion complexe : les friches urbaines ou industrielles restent en l’état en attendant une affectation positive et les terres agricoles connaissent une intensification qui supporte la plus value foncière.

Depuis l’invention de la ville périmètre d’urbanisation puis zonage (constamment révisés) ont guidé la croissance concentrique des villes.

Or depuis moins d’un demi siècle on entend maîtriser à des fins esthétiques et/ou environnementales l’ensemble de l’espace c’est à dire préciser l’affectation de chaque parcelle de terrain en recourant aux mêmes outils. Les documents d’urbanisme (le terme est révélateur) aboutissent ainsi à totalement bouleverser les valeurs foncières au gré des décisions des pouvoirs publics. Il ne s’agit plus de servitudes d’urbanisme mais d’une nouvelle catégorie juridique que l’on devrait dénommer « servitudes environnementales » qui ont pour caractéristiques :

– de bouleverser la valeur relative des patrimoines à très long terme sinon définitivement en posant en fait le principe du protecteur-payeur,

– de ne pas obéir à une logique claire : s’agit-il de protéger les ressources écologiques (faune et flore), le paysage, les espaces agricoles, d’interdire le « mitage »… ou simplement d’assurer l’homogénéité sociale et économique de quelques privilégiés (snob zoning et NIMBY) ?

– de nécessiter une gestion complexe et souvent coûteuse tant il est vrai que, sauf exception, il faudra intervenir pour préserver les valeurs environnementales.

– de transférer progressivement l’essentiel des droits de propriété de leur titulaire légitime aux pouvoirs publics, (réintroduisant ainsi un régime quasi-féodal) au nom d’une utilité publique aux contours incertains et variables

Cette ambition d’organiser la gestion environnementale de l’ensemble du territoire impliquerait donc d’organiser un système de péréquation entre propriétaires et de les payer pour gérer en fonction des objectifs environnementaux lorsque ceux-ci excèdent un certain niveau de contraintes.

De toute évidence les pouvoirs publics font semblant de croire à l’efficacité du pouvoir réglementaire pur c’est à dire sans indemnisation. A des degrés divers tous les pays pratiquent « l’expropriation réglementaire » (taking) qui, à la différence de l’expropriation physique ne coûte rien.

En réalité l’inégalité devant les charges de l’utilité publique a entraîné une résistance des ayant droits et un risque de corruption des décideurs. En effet il est inévitable que la redistribution

de l’essentiel des droits de propriété de leurs titulaires initiaux aux élus et fonctionnaires ne soit ni objective, ni neutre et ni guidée par les seules préoccupation de protection de l’environnement, notion pouvant masquer des objectifs divers et mal définis sinon moins avouables.

Le « zonage écologique » (Michel Pâques) risque donc d’aboutir à rien d’autre qu’à un patchwork, fruit de marchandages mystérieux, sans que pour autant soit réglé le problème de la gestion.

Les pouvoirs publics, face à cette réalité, ont parfois recouru à l’acquisition en toute propriété (ainsi le Conservatoire du Littoral en France) ou au maintien de la propriété publique (les différents niveau de gouvernement aux Etats-Unis possèdent plus de 40% du territoire). Cette solution radicale a pour inconvénient majeur l’inefficacité économique voire écologique consubstantielle à une gestion bureaucratique. A cet égard l’expérience désastreuse des pays communistes est éclairante.

L’action des propriétaires privés et des associations ouvre des perspectives intéressantes mais limitées (cf par exemple National Trust britannique et les nombreux trusts dans les pays du Commonwealth, Land Trust Alliance américain, Natuuronumenten néerlandais…).

En définitive tous les pays, armés du sabre de bois de la réglementation, sont confrontés au problème de la maîtrise foncière, clé de voûte de la protection de l’environnement. Tout laisse penser que rien ne sera possible sans la participation voire la mobilisation des ayant droits et au premier chef des propriétaires tant il vrai que se surajoute le difficile problème de la gestion. Cela suppose une évaluation des différentes situations et une modification des institutions nationales, internationales et communautaires en recourant aux outils juridique et économiques susceptibles de répondre aux défis actuels et futurs.

Enfin, alors que l’utilisation des instruments économiques commence à être mise en œuvre pour l’air et l’eau notamment à travers la technique des quotas transférables, il apparaît que les ressources foncières échappent largement à cette nouvelle politique environnementale. Il convient d’examiner les possibilités compte tenu des contraintes théoriques et politiques.

Il s’agit d’organiser une conférence mondiale c’est à dire où soit présents les principaux systèmes politico-juridiques : Europe occidentale et Amérique, pays ex communistes y compris la Russie, pays de droit musulman, Chine, Japon, Afrique noire. Pour autant la Conférence visera en priorité à définir des perspectives communes pour les 25 Etats membres la Communauté Européenne

· Examiner les institutions alternatives et outils permettant une meilleure efficacité et la protection des droits de l’homme tels que définis au niveau des états et de la Communauté Européenne : par exemple transfert de droits de construire, indemnisation des servitudes réglementaires, associations foncières, réglementation compensable, servitudes conventionnelles, propriété commune (au sens de E. Ostrom), conservatoires d ‘espaces (privés, associatifs et publics)…

· Voir dans quelle mesure les instruments économiques utilisés de plus en plus pour l’eau, l’air, les ressources halieutiques…à savoir les permis transférables et redevances (et non taxes) peuvent être imaginés pour les ressources foncières.

· Evaluer l’efficacité et les coûts de la réglementation pure (command and control) en matière de maîtrise foncière environnementale.

· Imaginer de nouvelles institutions à même de combiner efficacité environnementale et protection de la liberté individuelle en fonction de la nature des ressources environnementales, du type de milieu et des contraintes socio-économiques et théoriques.

Par  Henri Lamotte

La sixième conférence internationale « Droits de propriété, économie et environnement » consacrée aux ressources foncières s’inscrit dans la problématique des cinq conférences qui l’ont précédée, celle de la contribution des droits de propriété et des instruments économiques – marché de droits ou taxes environnementales – à la protection de l’environnement.

Le thème qui nous a réuni cette année pendant trois jours illustre parfaitement cette problématique tant il est vrai que la maîtrise foncière constitue un instrument essentiel dans la protection de l’environnement puisque l’accès aux ressources environnementales (eau, sol, faune et flore …) est très souvent conditionné par l’accès au foncier.

Plus précisément, la conférence poursuivait trois objectifs :

i) évaluer l’efficacité, les avantages et les coûts de la réglementation qui constitue, et de loin, l’instrument privilégié par les pouvoirs publics en matière de maîtrise foncière environnementale ;

ii) examiner dans quelle mesure, les instruments économiques, redevances, taxes, permis négociables, utilisés de façon croissante dans d’autres domaines environnementaux, pourraient être utilisés dans la maîtrise foncière environnementale ; on pense par exemple aux transferts de droits à construire, à l’indemnisation des servitudes environnementales, à la fiscalité foncière ;

iii) et, enfin, imaginer de nouvelles institutions à même de combiner efficacité environnementale et respect des droits de propriété.

La présentation d’un rapport général constitue inévitablement un exercice réducteur : il est toujours difficile de résumer en quelques phrases la diversité des thèmes abordés, la multiplicité des approches, la richesse des débats. Sans prétendre en aucune façon à l’exhaustivité, deux lignes directrices émergent des débats, centrées d’une part sur les limites des modalités traditionnelles de l’intervention publique (I) et, d’autre part, sur les pistes d’action susceptibles de renouveler, de compléter, d’améliorer l’action publique dans le domaine de la politique foncière (II) tout en gardant à l’esprit que le thème général de la conférence reste bien celui de la préservation de l’environnement et non celui de l’urbanisme.

I. Les instruments traditionnels d’action des pouvoirs publics dans la maîtrise foncière et leurs limites.

La conférence a débuté par un rappel par Olivier Barrière et Etienne Le Roy de la grande diversité des régimes de propriété à travers le monde. Le système occidental de droits de propriété privée, exclusifs et transférables, est loin de constituer le régime dominant sur tous les continents. Ainsi, seulement 4 % des terres en Afrique font l’objet de titres de propriété. Pour autant, cette diversité des régimes de propriété laisse posée, pour bon nombre de participants, la question de leur efficacité économique respective, notamment de leur contribution à l’accumulation du capital et au développement économique. Le débat sur ce sujet a été relancé avec la contribution majeure de l’ouvrage de Hernando de Soto, « Le mystère du capital »[1].

A. En matière de politique foncière, les pouvoirs publics utilisent deux types d’instruments traditionnels : la réglementation au sens large et l’appropriation publique directe.

1. La réglementation au sens large et la planification foncière constituent évidemment les deux instruments traditionnels d’action des pouvoirs publics les plus utilisés dans tous les pays : fixer des normes (command and control) et déterminer l’usage du sol par le biais du zonage. Celui-ci présente l’avantage de mettre en œuvre des régulations spacialisées susceptibles de s’adapter aux conditions locales.

2. L’appropriation publique directe.

Lorsque la réglementation ou lorsque la planification foncière ne suffisent pas pour atteindre leurs objectifs, les pouvoirs publics dans tous les pays peuvent recourir à d’autres modalités d’action, telle que l’appropriation directe du foncier. Il s’agit notamment de la procédure traditionnelle de l’expropriation.

Compte tenu du thème de la conférence, l’environnement, il importe de bien d’analyser ces deux modes traditionnels d’intervention publique dans la perspective de la protection de l’environnement alors qu’elles poursuivent également bien d’autres objectifs.

B. Les limites des instruments traditionnels d’action

Les débats ont mis en évidence plusieurs limites qui réduisent l’efficacité de ces instruments.

1. L’absence de garantie d’efficacité environnementale en raison de l’absence d’effet direct « per se »: le zonage n’empêche pas les atteintes à l’environnement. Par exemple, la mise en place de zones de protection de l’agriculture ne vise qu’à garantir une répartition des espaces au profit de l’agriculture et non des modes de production agricole compatibles avec la préservation de l’environnement.

2. Les modifications durables des valeurs relatives des biens fonciers engendrés par la réglementation ou la planification foncière.

La planification foncière engendre d’importants effets redistributifs puisqu’elle a pour effet d’engendrer des modifications durables de la valeur des droits de propriété sur le foncier. Selon que le foncier est ou non constructible, il en résulte des variations de valeur relative dans un rapport qui va de 1 à 100, voire de 1 à 1000 dans les zones où la pression foncière est forte.

3. Les pertes d’efficacité économique de la rétention ou du malthusianisme foncier.

La rétention foncière ou le malthusianisme foncier engendre des pertes d’efficacité économique, ou socio-économique, comme disent les économistes, puisque des usages plus efficaces du sol sont écartés. Le coût de la planification urbaine peut être directement appréhendé par la perte de valeur engendrée par le classement en terrain non constructible. Certes, il en résulte des gains socio-économiques, tels que la préservation du caractère naturel de certains espaces, la réduction de la tendance à l’étalement urbain ou au mitage du territoire. Mais l’absence d’évaluation de ces gains ne permet pas de vérifier que les coûts ne sont pas totalement disproportionnés par rapport aux gains espérés.

4. La confusion des rôles et des responsabilités dans l’action des pouvoirs publics.

C’est un thème dont nous avions longuement débattu pendant la conférence de 2002 avec l’exemple emblématique de l’expropriation des salins d’Hyères appartenant à l’entreprise des Salins du Midi et le rôle du Conservatoire du littoral. Mais la question dépasse très largement cet exemple.

En matière foncière, les pouvoirs publics cumulent trois types de fonctions :

– la fonction de régulation ou de planification avec la fixation de normes en matière d’urbanisme et d’environnement et la détermination du zonage ;

– la fonction d’acquisition directe du foncier dans le cadre généralement de procédures tout à fait exorbitantes du droit commun, comme la préemption ou l’expropriation ;

– la fonction d’évaluation, lorsqu’un organisme public, en France, le service des domaines, procède à l’évaluation des biens expropriés.

Chacune de ses fonctions analysées séparément a vraisemblablement certaines justifications mais c’est leur cumul dans les mains d’un seul acteur, les pouvoirs publics de façon générale, et plus particulièrement l’Etat ou les collectivités locales qui fait question.

Peut-on considérer comme équitable et efficace économiquement que ce soit le même acteur qui dispose du triple pouvoir de modifier le prix des biens par le biais de la réglementation ou de la planification urbaine, de fixer le prix de ceux-ci et de l’acquérir en contraignant les propriétaires à céder leurs biens ?

Poser la question de cette façon, c’est évidemment y répondre !

Ce cumul des rôles, cette confusion des responsabilités, engendre inévitablement des risques de corruption.

5. Les risques de corruption.

La réglementation environnementale, entendu au sens large, et tout particulièrement la planification foncière, est source de risques de corruption puisqu’elle engendre créations ou destructions de valeur des ressources foncières par le biais de décisions administratives. La différence de valeur des ressources foncières selon leur caractère ou non constructible crée a priori une incitation à la corruption. La décentralisation aggrave sans doute les effets du clientélisme local et du marchandage puisque les documents d’urbanisme et les décisions individuelles sont du ressort du niveau communal ; l’Etat se limitant à l’élaboration de règles générales. Les documents de planification urbaine au niveau local (POS et PLU) sont soumis à un processus de révision permanente qui permet effectivement au marchandage de produire ses effets.

Le sentiment de nombreux participants est que la corruption ne constitue pas un phénomène marginal.

Est-ce un mal nécessaire pour faire fonctionner le système ? Peut-on considérer la corruption comme faisant simplement partie des « coûts de transaction » ? Le sentiment général des participants à la conférence est que la corruption constitue un mécanisme anti économique (absence de transparence, contradiction avec un système de droits objectifs qui est au fondement d’une économie de marché efficace) et contraire aux principes dont se prévalent et qui fondent nos régimes démocratiques (principe d’égalité devant la loi).

Dans ce contexte, quels peuvent être les stratégies, les pistes d’action, les instruments alternatifs ou complémentaires aux modes d’action traditionnels des pouvoirs publics pour promouvoir une gestion des espaces plus respectueuse de l’environnement ?

II – Le renouvellement de l’action des pouvoirs publics dans la politique foncière.

Trois types d’approches ont été particulièrement débattues durant la conférence : le rôle des conservatoires privés, l’approche contractuelle et le recours aux instruments économiques (entendu au sens large).

A. Le rôle des Conservatoires privés dans la gestion des espaces naturels (land trust).

C’est un sujet dont nous avions également largement parlé en 2002 avec le rôle des land trusts qui jouent un rôle essentiel dans la conservation des espaces naturels dans les pays anglo-saxons notamment mais aussi en Amérique Latine. Jean Hocker nous a rappelé tout l’intérêt de ces conservatoires privés.

Fondations à but non lucratif, les land trusts bénéficient d’avantages fiscaux importants leur permettant de consacrer de gros moyens à la préservation des espaces naturels sans spoliation des propriétaires. En effet, la plupart du temps, les Land Trust passent avec le propriétaire des contrats équitables et pérennes (servitudes environnementales) engageant ces derniers à gérer leurs territoires dans un sens conforme aux objectifs poursuivis par le Land Trust et moyennant des dédommagements. Le prix de la servitude environnementale est déterminé par la diminution de la valeur du bien engendrée par la convention. Lorsque la nécessité s’en fait sentir (par exemple lorsque la protection de l’environnement requiert l’absence de toute exploitation de l’espace), ces Land Trust peuvent se porter acquéreur des territoires, mais sur la base de prix de marché.

L’intérêt des land trusts au regard de la problématique de cette conférence est triple :

i) rappeler qu’il n’est pas nécessaire de posséder un espace pour le protéger puisque le moyen d’action privilégié du land trust est la « servitude de conservation » signé entre le propriétaire de l’espace et le land trust par laquelle le propriétaire renonce à certains droits sur l’espace (par exemple le droit de construire dans certaines zones) ;

ii) montrer que la protection des espaces naturels peut se réaliser sans l’éviction des propriétaires mais au contraire sur la base d’un contrat équitable, mutuellement bénéfique et susceptible de s’adapter aux situations locales les plus diverses ;

iii) souligner enfin que la gestion des espaces naturels doit s’appréhender dans la durée, d’où l’intérêt des servitudes perpétuelles qui lie au land trust non seulement les propriétaires actuels de l’espace mais également tous les propriétaires futurs. Dans ce cadre, le propriétaire privé continue de posséder et d’utiliser l’espace, de l’exploiter et d’en tirer des revenus, de le vendre et de la transmettre mais tous les propriétaires futurs seront liés par la servitude perpétuelle contractée avec le land trust.

Durant cette conférence, d’autres exemples d’implication des acteurs privés dans la gestion des espaces naturels ont été présentés.

En Europe, Ian Hodge a appelé au développement de nouvelles institutions privées pour répondre aux nouvelles attentes de la société vis-à-vis de l’agriculture, celle d’une agriculture multifonctionnelle ne se limitant pas à sa fonction traditionnelle de production de biens alimentaires mais produisant également d’autres services, qu’ils soient marchands (tourisme vert) ou non marchands (entretien des paysages, bio-diversité). L’auteur estime en effet que de nouvelles institutions sont nécessaires pour fédérer tant la demande sociale (fondations, associations) que l’offre (association d’exploitants) afin de proposer des services agro-environnementaux homogènes tout en réduisant les coûts de transaction entre demandeurs et offreurs d’aménités.

Un autre exemple d’implication des propriétaires privés dans la protection de l’environnement nous a été donné avec le nouveau bail rural environnemental en France (loi d’orientation agricole du 5 janvier 2006). Ce nouveau bail introduit un rééquilibrage des responsabilités respectives de l’exploitant et du propriétaire bailleur dans la gestion de l’environnement (gestion de l’eau, préservation des sols, bio-diversité). Lorsque les terres sont situées dans des zones spécifiques présentant un environnement particulier (zones Natura 2000 par exemple), le propriétaire a la possibilité d’introduire dans le contrat de bail des clauses environnementales avec en échange un fermage plus faible.

B. L’approche contractuelle

Nous avons eu également un débat particulièrement stimulant sur le rôle du contrat en matière de politique foncière. Le recours au contrat doit-il être encouragé ? Peut-être faut-il sans doute faire une distinction entre la planification urbaine et les politiques environnementales.

Plusieurs exemples particulièrement intéressants ont été cités durant cette conférence.

– Les conventions conclues avec les agriculteurs pour protéger les zones de captage des eaux (cité par Jacques Pélissard). Elles se traduisent par la compensation sous forme de subventions de pratiques culturales raisonnées pour limiter la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole. Evidemment, ce sont les contribuables qui paient pour la réduction de la pollution des eaux d’origine agricole, ce qui manifestement contraire au principe pollueur-payeur.

– Les servitudes conventionnelles conclues par les Land Truts (cf. supra).

– Le dispositif européen Natura 2000.

– L’action du Conservatoire du littoral.

En France, le Conservatoire du littoral a comme mission l’acquisition de fractions du littoral et leur mise en valeur. En effet, il ne suffit pas d’acquérir mais aussi mettre en valeur. Ceci implique la mise en place de partenariats avec d’autres acteurs qui pourront assurer cette mise en valeur. Ces partenaires peuvent être des collectivités locales, des établissements publics, des associations agrées (ligue de protection des oiseaux, association Rivages de France …) mais peut-être aussi des propriétaires privés, des associations de propriétaires privés (avec la SCI des Iles Chausey par exemple) même s’il faut le souligner la loi ne prévoit pas la possibilité d’un partenariat avec les propriétaires privés ou leurs associations. Ce partenariat pourrait prendre la forme d’une négociation avec les propriétaires privés de servitudes de droit privé (servitudes non aedificandi par exemple). Ce partenariat est d’autant plus justifié que l’un des objectifs du Conservatoire est aussi de réintroduire des usages économiques respectueux de l’environnement, d’où des conventions d’usages avec des agriculteurs, des viticulteurs, des producteurs de sel.

Les textes actuels n’autorisent cependant pas le Conservatoire à confier la gestion des espaces à des propriétaires privés, contrairement à la situation qui existe dans d’autres pays avec les Land trusts par exemple. La loi littoral devrait être modifiée sur ce point.

C. Le recours aux instruments économiques constitue la troisième piste d’action débattue durant notre conférence.

On entend ici les instruments économiques dans un sens très large comme visant à substituer ou à compléter l’approche réglementaire par des mécanismes de marché cherchant à influer le comportement des agents au moyen de mécanismes de prix, soit directement (taxes, redevances, subventions, indemnités compensatrices), soit indirectement (droits de propriété, marchés de droits). Il s’agit aussi d’une piste pour s’attaquer de façon structurelle au problème de la corruption.

Comment introduire des instruments économiques dans la politique foncière ?

1. Les permis de développements transférables ?

On peut évidemment penser en premier lieu aux mécanismes de permis négociables qui sont utilisés avec un certain succès dans d’autres domaines de l’environnement (eau, pollution atmosphérique, lutte contre le changement climatique). Il s’agit donc des permis de développement transférables existant aux Etats-Unis (« transfer of development rights »), ou en France des transferts de COS (coefficient d’occupation des sols) introduits par loi de 1976 pour les espaces naturels.

Cette piste est loin de faire consensus entre les participants. Les spécialistes de l’économie foncière mettent en avant la complexité de ce type de dispositif, la difficulté à concilier échanges et protection de l’environnement et le faible développement de part le monde des mécanismes d’échanges dans le domaine de la politique foncière.

2. La rémunération par les pouvoirs publics des aménités foncières et des contraintes environnementales.

La politique agricole commune depuis la réforme de 2003 facilite la prise en compte dans le versement d’aides directes aux agriculteurs des objectifs environnementaux et notamment, ce que les économistes appellent les aménités foncières liées à la qualité des paysages et des modes d’exploitation agricole. Il s’agit évidemment d’un instrument d’action beaucoup plus direct, beaucoup plus efficace sans doute en matière de protection de l’environnement que la planification foncière. Cette rémunération pourrait être croissante avec l’ampleur des aménités engendrées ou des contraintes imposées. Cette piste d’action pose bien évidemment le problème de l’évaluation des aménités et du consentement à payer de la société.

3. L’indemnisation de servitudes environnementales et la fiscalité foncière.

Comme il y a quatre ans lors de la conférence consacrée au littoral, les débats ont été très intenses quant à l’indemnisation des servitudes environnementales ou plus généralement de la réglementation, ce que Anne-Louise Strong a appelée la « réglementation compensable ».

La conception traditionnelle, notamment française, est celle de la non indemnisation des servitudes publiques qui ne font pas disparaître le droit de propriété même si une de ses droits prérogatives, le droit d’usage, se trouve réduit ou limité de fait. La seule indemnisation prévue par le code civil en France est celle qui compense une expropriation, conformément à l’article 17 de la déclaration de droits de l’homme. Il en est de même aux USA où le 5ème amendement pose deux conditions à la procédure d’expropriation : l’existence d’une justification d’intérêt général et une indemnisation. A cela s’ajoute l’indemnisation pour dommages de travaux publics accordée en France par le juge administratif quand le dommage est grave et spécial et sous la condition d’une pré-occupation de la victime à la réalisation de l’ouvrage.

La situation est cependant très diverse d’un pays à l’autre :

– entre la France, où l’article L 160-5 du code l’urbanisme a posé le principe de la non indemnisation des servitudes d’urbanisme ;

– et les USA où une loi fédérale de 1922 a posé le principe d’une indemnisation lorsque la réglementation va trop loin, introduisant dans le droit américain le concept d’expropriation réglementaire (« regulatory taking ») ; la jurisprudence dite du « taking » s’est fortement développée aux USA durant les 20 dernières années.

Cette opposition s’est néanmoins atténuée en France sous l’action de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui a rappelé quelques principes dans une décision de 2003 : i) l’indemnisation est toujours possible sauf quand la loi l’exclue expressément ; ii) pour être indemnisable, le préjudice doit être « anormal et spécial ».

Les termes du débat ont été bien précisés par rapport à la conférence de 2002 :

i) pour un économiste, l’absence totale d’indemnisation est source d’inéquités et de pertes d’efficacité économique ; en effet, cette absence d’indemnisation ne favorise pas la prise en compte équilibrée dans l’action publique des avantages et des coûts de la réglementation puisque ceux-ci ne sont pas indemnisés ;

ii) inversement, on ne peut pas tout indemniser et d’ailleurs sur quelle base ?

iii) le terme anglais de compensation est sans doute plus porteur que son équivalent français d’indemnisation ; on peut en effet imaginer des modes de compensation autres que l’indemnisation monétaire ; Jurgen Hartmann nous a présenté un mode compensation novateur constitué par l’existence d’un compte écologique (un agent pénalisé par une réglementation reçoit des points écologiques qui peuvent être utilisés par lui-même ou vendus à d’autres acteurs) ;

iv) et, enfin, il faut des contreparties à cette indemnisation. Une des contreparties pourrait résider dans l’existence d’un impôt foncier moderne permettant de taxer convenablement la rente foncière. Ce débat va peut être surprendre les participants étrangers à cette conférence mais en France, il n’existe pas d’impôt foncier moderne. Il faudrait en effet que celui-ci soit assis non sur la valeur locative établie en 1970 mais sur une assiette économique pertinente qui ne peut être que la valeur vénale des biens fonciers. Ceci suppose bien évidemment que l’empilement des impôts fonciers, des impôts sur le capital et des impôts sur le revenu du capital n’aboutissent pas à des niveaux de prélèvements confiscatoires.

4. La suppression de la confusion des rôles et des responsabilités et le recours au secteur marchand en matière d’évaluation.

Le cumul des rôles – réglementer, exproprier, évaluer – n’est ni efficace, ni équitable et de nombreux participants estiment que l’Etat doit choisir entre ces trois fonctions et se concentrer sur celle pour laquelle son action est la plus légitime, c’est-à-dire sa fonction de régulation et confier les autres à d’autres agents. On peut penser en particulier que l’évaluation des biens expropriés devrait être assurée par des organismes indépendants des pouvoirs publics et donc des acteurs privés mis en concurrence. A tout le moins, comme le suggère G. Dumonteil, le bien exproprié devrait être évalué en faisant abstraction des servitudes environnementales imposées par les pouvoirs publics.

5. Il reste à trouver des pistes d’action pour réduire le problème de la corruption.

Il n’existe pas en ce domaine de solution miracle bien évidemment mais plusieurs pistes intéressantes ont été esquissées durant la conférence.

– Généraliser les analyses coûts bénéfices de toute nouvelle réglementation et de toute décision publique.

– Contrôler ex post les justifications données pour procéder à une déclaration d’utilité publique.

– S’engager dans la voie de la simplification administrative car la complexité des règles crée une incitation à la corruption.

– Eviter autant que possible les réglementations malthusiennes car l‘accroissement de la rente foncière qu’elles engendrent constitue également une incitation permanente à la corruption.

– Faire sortir certains domaines de l’action politique pour réduire de façon structurelle les causes de la corruption (J.P Chamoux) ; c’est la voie de la simplification administrative, (de la déréglementation) et d’un recours accru à des mécanismes marchands pour répartir des droits.

[1] Hernando de Soto, “The mystery of capital. Why capitalism triumphs in West and fails everywhere else.” Batam Press, 2000. Pour la traduction française, « Le mystère du capital », Flammarion, 2005.

  • Ministres français (Environnement, Equipement, Agriculture)
  • Directeur Général UNESCO
  • Président Université Paul Cézanne Aix-Marseille
  • Président de l’Association des Maires de France
  • Secrétaire Général Conseil de l’Europe
  • Président de Friends of the Countryside
  • Président du Lincoln Institute of Land Policy
  • Personnalités : José Maria Aznar, Baron Nordenfalk, Pierre Mayet, Maryse Joissains Masini, Gérard Dumonteil, Loyola de Palacio, Jérôme Bignon, Alain Gaudet, Alain Bidault, Jean-Noël Guérini, Jean-Pierre Poly, Pierre Mirabaud, Louis de Rohan Chabot …

– Alterman Rachelle, Technion University, (Israël)
– Ayodele Thompson, Institute of Public Policy Analysis (Nigeria)
– Baden John FREE (USA)
– Balossier Jacques, Salins Participations
– Barbier Jean-Marie, Fédération Nationale Forestière
– Barrière Olivier, Institut de Recherche pour le Développement (Montpellier)
– Bate Roger, American Enterprise Institute
– Beltrame Pierre, Université Paul Cézanne Aix-Marseille
– Benard Vincent, Hayek Institute
– Berge Erling, International Association for the Study of Common Property (Norvège)
– Biglione Frank, Université Paul Cézanne Aix-Marseille)
– Billet Philippe, Université de Dijon
– Blanchet Dominique, Université des Antilles et de Guyane
– Bland François, Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable
– Boitel Christian, Avocat aux Barreaux de Nice et de Paris
– Bouckhaert Baudoin, Université de Gand
– Boughera Douadia, INRA-Rennes
– Bouin Frédéric, Université de Perpignan
– Bourassa Steven, University of Louisville
– Bouyssou, avocat au Barreau de Toulouse
– Brubaker Elizabeth, Canada Probe
– Bueb Jean-Pierre, Service Central de Prévention de la Corruption
– Carbonell Armando, Lincoln Institute for Land Policy
– Centi Jean-Pierre, Université Paul Cézanne Aix-Marseille
– Chaigneau Aurore, Université Paris-Nanterre
– Charlez Annie, Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage
– Cole Daniel, Indiana University School of Law
– Corkindale John, Environment Agency UK
– Crecente Maseda Raphael, Universidad de Santiago de Compostela
– De Alessi, Reason Foundation (Californie)
– Delacour Thibault, Société des Agriculteurs de France
– Delogu Orlando, University of Maine School of Law
– DeMoor Martina, Université de Gand
– Demouveaux Jean-Pierre, Tribunal Administratif de Versailles
– Ding Chengri, Lincoln Institute et Université du Maryland
– Dumonteil Gérard, Groupe Salins (Bruxelles)
– Epstein Richard, University of Chicago
– Escaille Thierry (de l’) European Landowners Organisation (Bruxelles)
– Facchini François, Université de Rennes
– Falque Mireille, Adonis Architecture Paysage
– Favre Yves, Agence des Espaces Verts d’Ile de France
– Galey Matthieu, Université de Paris
– Galnovskaya Elena, Institut de Législation et de Jurisprudence Comparées (Moscou)
– Gaudet Alain, Ordre des Géomètres Experts
– Gissurarson Hannes, Université d’Islande
– Givaudan Antoine, Directeur au Ministère de l’Equipement
– Gnangui Adon, Institut National Polytechnique de Côte d’Ivoire
– Grolleau Gilles, INRA-Dijon
– Grossan Christian, Conseil Général des Hautes-Alpes
– Hagel Zoé, Agence de l’Eau
– Haumont Francis, Université Catholique de Louvain (Belgique)
– Hocker Jean, Lincoln Institute for Land Policy
– Hocker Philip,Virginia Conservation Credit Pool
– Hodge Ian, University of Cambrige
– Hostiou René Faculté de Droit de Nantes
– Ishwaran Natarajan, UNESCO
– Jacobs Harvey, University of Wisconsin
– Jaeger Lisa, Bracewell and Giuliani (Washington)
– Jouventin Pierre, CNRS Montpellier
– Julienne Christian, Héritage et Progrès
– Langholz Jeffrey, Monterey Institute of International Studies (Californie)
– Le Roy Etienne, Faculté de Droit Panthéon-Sorbonne
– Lecat Gabriel, Université de Bourgogne
– Legg Wilfrid, OCDE
– Lopez Emmanuel, Conservatoire du Littoral
– Macera Frank, Université de Valladolid (Espagne)
– Mayet Pierre, ancien vice-président du Conseil Général des Ponts et Chaussées
– Migué Jean-Luc, Fraser Institute (Canada)
– Morris Julian, International Policy Network (Londres)
– Moyne-Bressand, Alain député-maire (Isère)
– Nelson Robert, University of Maryland
– Nordenfalk Johan, Friends of the Countryside
– Pâques Michel, Université de Liège
– Pattyn Christian, Ligue Urbaine et Rurale
– Peignot Bernard, Avocat au Conseil d’Etat
– Pélissard Jacques, Association des Maires de France
– Pérignon Sylvain, ancien directeur de recherche au CRIDON de Paris
– Perrinet André, Syndicat des Expropriés
– Petit Olivier, Université d’Artois
– Pilate Jean-Michel, Réseau de Transport d’Electricité
– Pitron François, Rivages de France
– Piveteau Vincent, DATAR-DIACT
– Qu Futian, Nanjing Agricultural University (Chine)
– Rébillard Astrid, Université de La Rochelle
– Renard Vincent, CNRS-Ecole Polytechnique
– Sainteny Guillaume, Ministère de l’Ecologie
– Schiavetti Hervé, Maire d’Arles
– Stagnaro Carlo, Instituto Bruno Leoni (Italie)
– Sterling Burnett, National Center for Policy Analysis
– Strong Ann Louise, University of Pennsylvania
– Truchet Catherine, Petites Iles de France
– Truilhe Eve, CNRS-CERIC Aix en Provence
– Villand Marc, Interconstruction
– Wauters Charles, Notariat belge
– Buckwell Allan, Country Land and Business Association (Londres)
– Xiaoping Shi, Nanjing Agricultural University (Chine)
– Yandle Bruce, Clemson University ….

– Agences de l’Eau
– Agence Foncière et Technique de la Région Parisienne
– Agence des Espaces Verts de la Région Ile de France
– Association des Maires de France
– Association Internationale des Maires Francophones
– Compagnie des Experts près la Cour Administrative d’Appel de Marseille
– Communauté du Pays d’Aix
– Conseil de l’Europe (Strasbourg)
– Conseil Général des Bouches du Rhône
– Conseil International de la Chasse (Paris)
– Conservatoire du Littoral et des Rivages Lacustres
– Country Land and Business Association
– DATAR-DIACT
– Etablissement Public Foncier Provence Côte d’Azur
– Etudes Foncières (ADEF)
– European Landowners Organisation (Bruxelles)
– Fédération Nationale des Chasseurs
– Fondation de la Chasse et la Nature
– Fondation pour les Habitats de la Faune Sauvage
– Foundation for Research on Economics and Environment, FREE (USA)
– Friends of the Countryside (Bruxelles)
– FAES (Madrid)
– Fondation de la Maison de la Chasse et de la Nature
– Hayek Institute (Bruxelles)
– Héritage et Progrès (Paris)
– Institut Economique de Montréal (Canada)
– International Association for the Study of Common Property (Etats-Unis)
– Laboratoire d’Anthropologie Juridique (Paris)
– Ligue Urbaine et Rurale/ Espaces pour Demain
– Lincoln Institute of Land Policy (Cambridge USA)
– Ministère de l’Agriculture
– Ministère de l’Ecologie
– Ministère de l’Equipement
– National Center for Policy Analysis
– OCDE/OECD (Paris)
– Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (Paris)
– Ordre des Géomètres Expets
– Petites Iles de France
– Probe Canada
– Reason Foundation (Los Angeles)
– Réseau de Transport d’Electricité
– Rivages de France
– Salins Europe
– Service Central de Prévention de la Corruption
– Société des Agriculteurs de France (Paris)
– Transparency International France
– UNESCO (Paris)
– Xarxa de Custodia, (Catalogne) …