Cet ouvrage publié il y a 18 ans aux Éditions Odile Jacob est plus que jamais d’actualité car au moment où le vocable « libéral »n’est plus insulte, sa mise en œuvre risque de trahir ses principes intellectuels et moraux . Il m’a donc paru utile de publier la recension que j’avais rédigée à l’époque.
Max Falque
Une excellente surprise et même une véritable lecture de vacances ! Le contenu vaut bien le titre….encore que le mot « libéralisme » aurait pu être mis au pluriel, tant il est vrai que l’auteur développe une thèse libérale pure en contrepoint d’un libéralisme de circonstance sur lequel tout le monde ou presque s’accorde pour faire face aux nécessités du moment.
J’avoue que j’ai hésité à ouvrir ce gros livre dont je craignais qu’il ne soit qu’une compilation, voire un plagiat des multiples ouvrages américains. Il n’en est rien car ses sources sont largement françaises (Bastiat, Say, Constant, Rueff, Nemo, Lepage, Lemennicier, Lemieux, Laurent…) et autrichiennes (Menger, von Mises, Hayek, Popper, …) et ses références aux excellentes recherches américaines contemporaines (Rothbard, Rand, Olson, Jasay…) ne nous éloignent pas de la mise en perspective de la paradoxale « exception française ».
Dès le départ, Pascal Salin affiche les principes qui guident sa démarche. En effet, le grand mérite de l’ouvrage est de s’appuyer sur les fondements théoriques et moraux plutôt que sur le marché qui n’est qu’un outil au service de la liberté et de la dignité de l’homme. « Ce qui caractérise le libéralisme ce n’est pas l’économie de marché (qui) peut exister même dans les sociétés collectivistes » (p.10) Les éléments du triptyque libéral sont : liberté, propriété, responsabilité. « Ces concepts sont évidemment distincts les uns des autres mais ils sont inséparables : il n’y a pas de liberté sans propriété et la propriété est le fondement de la responsabilité. » (p. 64)
Les différents domaines d’application (protection sociale, entreprise, finance, aménagement du territoire, fiscalité…) sont largement exposés mais inégalement convainquants. L’environnement, domaine qui m’intéressait plus particulièrement, est bien développé, s’appuyant sur les nombreux travaux réalisés depuis une vingtaine d’années en Grande Bretagne et surtout aux Etats-Unis et dans une moindre mesure en France[1]. En revanche, le chapitre consacré de la circulation en général et la sécurité routière en particulier, est certes intéressant sur le plan théorique, mais bute sur la réalité des chiffres dramatiques. Vouloir démontrer que « la vitesse ne tue pas » relève du paradoxe, voire de la provocation car toute l’expérience vécue par chacun dans le monde réel dominé par l’agressivité démontre le contraire.
Cela fait penser au problème de la liberté du commerce des armes, débat qui fait rage aux Etats-Unis. Certes, ce n’est jamais l’arme qui tue, mais celui qui l’utilise[2]. . Ni l’automobile, ni la vitesse ne tuent, mais le conducteur irresponsable. N’empêche que dans la réalité la détention d’armes et la vitesse sont des facteurs de risque.
Un des chapitres le plus intéressant concerne le problème de l’immigration. La vanité et l’inefficacité des politiques actuelles sont bien analysée en terme de choix publics et Pascal Salin démontre que le strict respect des droits de propriété individuels et collectifs apparaît comme un mode juste et efficace de régulation des flux migratoires dans le respect de la dignité humaine.
Pascal Salin, en exposant magistralement un libéralisme non utilitariste, fait œuvre utile d’intellectuel et de défricheur d’idées. Il apporte un solide argumentaire susceptible de ramener à leur vraie non valeur les pamphlets sur l’horreur économique et autres bluettes de la même farine. Il observe à ce sujet : « La France d’aujourd’hui n’est pas un pays libéral mais le problème est plus culturel que politique. Tous les messages transmis par les médias ou dans les institutions d’éducation sont essentiellement antilibéraux. » (p. 41)
Pour autant le vrai problème du libéralisme est que sa vision de l’homme est optimiste, à savoir un mélange d’énergie, d’individualisme et de goût pour la liberté et le commerce de ses semblables. Cette vision correspond-elle à la réalité ? La plupart des hommes recherchent la sécurité au prix de l’asservissement, voire de la pauvreté. Le succès des thèses constructivistes dont le socialisme constitue la forme la plus achevée, réside précisément dans le paradoxe bien décrit par la Boëtie et Orwell. A l’utopie de « l’homme nouveau » du marxisme, il serait imprudent de substituer l’illusion de « l’homme idéal ». L’homme réel n’est qu’exceptionnellement un héros ou un saint mais il est vrai que les institutions peuvent contribuer à en faire un esclave ou un homme libre.
En tout cas, l’ouvrage de Pascal Salin ne laisse pas indifférent. Il irritera ou enthousiasmera, parfois les deux à la fois. Nul doute qu’avec Raymond Aron et Jean François Revel, Pascal Salin a le courage et le talent de ses opinions et aidera notre pays à se dépouiller de la carapace du social-étatisme qui l’étouffe et l’avilie.
Loin d’être pessimiste, Pascal Salin ouvre la voie à la réforme : « Un petit nombre de règles universelles sont nécessaires et suffisantes pour qu’une société soit une société libre : la reconnaissance des droits de propriété, la liberté contractuelle (qui en est une conséquence naturelle) et l’exercice de la responsabilité qui est rendue possible par la détermination antérieur des droits de propriété. » (p. 495)
Ces propositions rejoignent heureusement celles plus générales magistralement exposées par Richard Epstein dans son remarquable ouvrage « Simple rules for a Complexe World »[3].
On ne peut que souhaiter la rencontre et la collaboration de Salin, l’économiste et d’Epstein, le juriste, pour approfondir les voies et moyens de l’indispensable et souhaitable transition du welfare state à l’humanisme au XXIème siècle.
Max Falque
[1] Cf. Falque/Massenet « Droit de Propriété et Environnement », Dalloz, 1997. (cf critique B. Lalonde in Futuribles 1999)
[2] L’exemple de la Suisse montre en effet que la possession généralisée d’armes de guerre n’entraîne pas la criminalité.
[3] Havard University Press 1995, 361 pages, non traduit et non cité en bibliographie par P. Salin