Cet ouvrage de 140 pages n’est disponible que sur internet... mais son impression sera récompensée. Son auteur, Bruce Pardy , professeur à la Faculté de droit à Queen’s Universty (Kingston,Canada[1] ) est un jeune et brillant juriste, ayant largement publié en matière de théorie juridique de l’environnement dans une optique libérale voire libertarienne.
A ce titre il a enseigné dans de nombreuses Facultés de Droit du monde anglo-saxon et de la Common Law.
Pour nous, à savoir l’Europe continentale de tradition de droit civil et prédominance du droit public, cet ouvrage nous ouvre la voie à un mode de pensée très différent voire déroutant. En effet nous considérons comme acquis le fait que le droit de l’environnement est « instrumentaliste » à savoir que la puissance publique est seule à même capable de résoudre les problèmes spécifiques par des moyens spécifiques.
L’instrumentalisme juridique affirme que la loi n’est importante qu’en tant qu’instrument pour obtenir le « bon et le juste » (right). En d’autres termes, la loi est un moyen pour atteindre un résultat ou un outil au service du bien public (social good). Mais bien sûr le problème est que, tout comme la beauté, il s’agit d’une affaire de goût qui diffère selon les personnes. Ce qui ouvre la voie à l’arbitraire règlementaire au profit de groupes de personnes.
Bien entendu tous les gouvernements affirment qu’ils recherchent l’état de droit (rule of law) mais en fait il pratiquent l’instrumentalisme.
Se référant à Saint Thomas d’Aquin, le droit naturel affirme qu’il existe une vérité morale objective qui s’applique à tous les hommes et à laquelle doit se conformer le droit positif. Il s’agit d’un droit supérieur qui impose des limites au législateur et au juge et donc à l’arbitraire et à l’instabilité.
Le « manifeste » qui conclut l’ouvrage propose que les écosystèmes, les marchés et l’état de droit réconcilient l’autonomie individuelle, les libres marchés et la protection de l’environnement.
Ecolawgic : Un manifeste
- La proposition selon laquelle le droit doit refléter ce qui est bon, moral ou souhaitable est une fiction. Bon, moral et souhaitable sont des questions grosses de désaccord et aucune opinion ne peut être prouvée correcte. Dans une société pluraliste, affirmer une vision particulière sur ce qui est bon ne peut reflèter les préférences de tous les membres de la communauté à laquelle il est appliqué. Le droit devient un vide qui peut être rempli par ceux qui accèdent au pouvoir de l’État pour réaliser des préférences subjectives
- Les écosystèmes et les marchés surgissent spontanément. Ils ne sont pas créés ou inventés par l’homme. Ils fonctionnent selon leurs propres règles, qui ne peuvent être modifiés par décret gouvernemental. Les écosystèmes et les marchés peuvent être trafiqués, mais la nature de leurs processus ne peut être modifiée. Ces systèmes ne sont pas seulement des collections des choses. Elles se composent de relations et d’ interactions qui expriment les informations et produisent des résultats. Ils sont organiques et évolutifs, changeant au fil du temps. La notion de dicter des résultats écologiques ou économiques spécifiques est incompatible avec la façon dont ils se comportent.
- Les écosystèmes ont leur propre logique immuable : la concurrence pour des ressources rares conduit à la sélection naturelle, dans lesquels ces organismes mieux adaptés survivent, se reproduisent et évoluent.. Les marchés obéissent à cette logique : la concurrence pour des ressources rares conduit à des succès économiques les entreprises, mieux adaptées aux conditions économiques et sociales, produisant des changements économiques et le développement. Pour les deux, les dynamiques du système découlent de l’interaction d’une multitude d’actions individuelles, décisions et adaptations.
- La concurrence est une dynamique neutre et impersonnelle. Elle protège tout le monde car elle empêche quiconque de prendre le contrôle. Dans un marché concurrentiel, aucun jugement personnel ne peut l’emporter parce que personne n’a le pouvoir d’‘imposer et mettre en œuvre ce jugement sur l’ensemble du marché. Il empêche toute personne de fixer les prix, limiter l’approvisionnement, réduire l’emploi ou diriger la façon dont les choses doivent aller. Dans les écosystèmes, même au sommet de la chaîne alimentaire aucun organisme ne peut de contrôler les actions des autres organismes ni les résultats pour le système. La dynamique de sélection et adaptation procéde sans relâche. Ils produisent des résultats collectifs sans prise de décision collective : l’ ordre sans direction.
- Les individus autonomes sont les éléments des marchés et des écosystèmes. Leurs interactions, les stratégies de survie, les réussites et les échecs sont l’étoffe dont sont faits ces systèmes. Lorsque les gens participent dans les marchés, ils sont un des nombreux acheteurs et vendeurs dont les interactions déterminent offre, demande et prix. Lorsque les gens participent dans les écosystèmes (qui est toujours le cas), ils sont l’un des nombreux organismes et espèces dont les interactions avec les autres et leur environnement déterminent les conditions de l’écosystème.
- La liberté et l’intégrité écologique ne sont pas opposés. À l’origine de la environnementale est une quête de liberté : laisse-moi tranquille. Le droit à l’autonomie est le principe juridique abstrait dont dérivent tous les droits négatifs. « Autonomie » ne signifie pas être dirigé par un Etat coercitif ou par le pouvoir d’ autres personnes. Cela signifie le droit d’être libre de toute ingérence dans les interactions des écosystèmes ou marché. Ce droit est violé lorsque les conditions sont imposées autrement que par le biais de la dynamique des marchés s et écosystèmes concurrentiels. L’autonomie implique le droit de participer aux marchés et aux écosystèmes dans des conditions qui existent indépendamment des forces monopolistiques ou non concurrentielles, publiques ou privées.
- Autonomie ne signifie pas que les gens ont les moyens de faire ce que bon leur semble, ou qu’ils ne sont pas soumis à des pressions ou limitations créées en vivant dans le monde. Les Individus autonomes sont libres de faire de leur mieux pour résoudre les défis de leur vie – financiers, physiques, psychologiques et sociaux – compte tenu d’une infinie variété d’obstacles et de difficultés.
Lorsque la Loi reflète la logique des écosystèmes, les individus sont libres de poursuivre leurs propres intérêts. Les règlementations ne protègent pas les personnes (ou participants au marché ou organismes de l’écosystème) d’eux-mêmes, et les décideurs (administration et justice) ne modifient pas le contenu de la loi selon le contexte de l’affaire ou la situation personnelle des parties.
8 La Loi est aussi un système. Ses caractéristiques abstraites doivent ressembler à ceux des écosystèmes et des marchés : règles et principes généraux , neutralité intrinsèque, cohérence interne et intégrité. Le mandat des décideurs est de ne pas « fairele bon et le bien » mais plutôt « laisser le système de parler ». Les gens prennent leurs propres décisions et d’élaborent leurs propres stratégies de survie basé sur le cadre général que la loi fournit, et ils peuvent réussir ou échouer sur le base de ces stratégies. Leurs actions et décisions contribuent aux marchés et aux écosystèmes et leur ensemble font de ces systèmes ce qui ils sont.
9 A l’instar des écosystèmes et des marchés, la Loi doit avoir une cohérence interne. Chaque règle et le principe doivent être connectés. Chaque décision doit concerner toutes les autres. Dans un système juridique dûment constitué, il y a une réponse pour tout litige qui se pose. Un tel système traite ses participants sereinement et en toute égalité, tous soumis aux mêmes règles. Les systèmes ne peuvent pas favoriser. .
- La main est invisible, nature sait mieux, et la justice est aveugle. Un corollaire du droit à l’autonomie est la principale mission du gouvernement : établir des règles abstraites et puis laissez les systèmes fonctionner. Dès lors que les paramètres juridiques applicables sont établis, le « bon » résultat est celui issu du système Le juste prix est le prix dicté par l’offre et la demande concurrentielle. Les bonnes conditions environnementales sont celles issues des écosystèmes concurrentiels. La bonne décision est celle prescrite par les principes généralement applicables d’un État systémique de droit. »
En définitive un ouvrage dense mais abstrait qui ouvre des perspectives théoriques et pratiques pour concilier liberté individuelle, protection de l’environnement et maitrise de la tyrannie réglementaire.
Max Falque
[1] En quelque sorte un jeune condisciple puisque j’ai étudié à Queen’s en 1959-60 . What a small world !